Tara: rencontre avec Gaby Gorsky, Directeur scientifique des expéditions

L'expédition Tara Oceans, de 2009 à 2013, a étudié la biodiversité du plancton dans toutes les mers du monde et les caractéristiques de son environnement. En 2014, la goélette Tara a sillonné la Méditerranée pour analyser l'impact du plastique sur cet écosystème. Quels sont les résultats des études réalisées par Tara? Elles ne sont pas que l'apanage de la communauté scientifique: quel est leur impact sur nos vies quotidiennes? Le point avec Gaby Gorsky.

Gaby Gorsky
Directeur scientifique de Tara Expéditions et de l'Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer

Quelle est la spécificité de l'expédition Tara Océans ?

"Tara Océans a parcouru les deux hémisphères pendant trois ans: aucune expédition n'a jamais été aussi globale ni détaillée. L'objectif était d'étudier la biodiversité du plancton, ces organismes microscopiques qui dérivent avec les courants océaniques, ainsi que les caractéristiques de leur environnement et leur rôle dans l'équilibre écologique de la planète. Nous nous sommes intéressés au plancton car c'est une catégorie d'organismes non pêchée ni transformée par l'homme, qui est un indicateur fiable de l'état d'un écosystème. Il faut savoir que près de 25% du CO2 émis chaque année par les êtres humains dans l'atmosphère est absorbé par l'océan, selon des mécanismes où le plancton joue un rôle essentiel. Nous avons prélevé des dizaines de milliers d'échantillons de plancton et avons relevé tous les paramètres environnementaux, y compris par satellite : nous avons « zoomé » de la vision par satellite jusqu'à l'ADN des organismes."

Tara Oceans s'est terminé en 2013, où en êtes-vous de l'analyse des échantillons et des données qui ont été prélevés dans toutes les mers du monde ?

"Les résultats des études sont extraordinaires, déjà publiés dans une vingtaine d'articles. D'autres résultats sont soumis actuellement aux meilleurs journaux scientifiques, Science et Nature pour une parution prochaine.

Nous avons rassemblé une base de données parmi les plus fiables et les plus importantes au monde. Elle sera bientôt accessible gratuitement aux scientifiques car la science ne peut progresser que si nous mutualisons nos moyens. Cette base de données va être utilisée pour simuler l'évolution du climat, de la circulation du carbone entre l'atmosphère et les océans... Pour faire des prévisions, on conçoit des modélisations mathématiques à partir des données les plus sûres, comme les nôtres, et aussi des données qui arrivent en continu des capteurs implantés dans le monde. Les données fournies par Tara sont très larges, car recueillies dans des lieux où personne n'est allé, et améliorent la précision de ces prévisions en prolongement des tendances passées.

Très fragiles, les échantillons de plancton ont été dispatchés dans différents laboratoires de plusieurs pays pour être analysés. Nous avons d'abord découvert que notre échantillonnage était exhaustif : nous avons prélevé quasiment toutes les espèces de plancton existant dans les océans. Elles sont colonisées par un nombre gigantesque de virus, bactéries et de parasites qui jouent aussi un rôle très important dans la biodiversité. Au moins 30 % de ces espèces sont encore inconnues : dans certains groupes relevés, 90 % des espèces n'étaient pas connues. Ces nouvelles molécules ou structures vont être étudiées pour servir à la pharmacopée, la chimie ou la cosmétique."

En 2014, Tara est reparti en Méditerranée pour aborder une nouvelle problématique écologique fondamentale ?

"Tara a étudié en Méditerranée l'impact de la pollution au plastique sur cette mer fermée. Nous avons orienté nos recherches vers les plastiques plus petits que 2 cm pour savoir comment ils entrent dans la chaîne alimentaire du plancton et se retrouvent dans nos assiettes...

Dans tous les filets que nous avons sortis, il y avait du plastique. Nous avons relevé des centaines d'échantillons pour étudier la nature, la quantité, la diversité des plastiques et tout ce qu'ils transportent. Avec les courants et le vent, ils se déplacent rapidement et véhiculent des bactéries pathogènes qui s'y accrochent, des algues, des mollusques ou des insecticides, des pesticides. La surface hydrophobe des plastiques attire les molécules actives des polluants organiques persistants (POP) qui entrent par la suite dans le système digestif des crustacés ou des poissons. Chaque morceau de plastique est colonisé et il n'y a pas d'endroit en Méditerranée sans plastique à la surface. C'est donc une question environnementale et sociétale très importante.

En Afrique du Nord, des Européens implantent encore des industries polluantes qui déversent leurs déchets directement dans l'eau. Mais la prise de conscience des habitants se généralise: ils veulent des eaux propres et non du travail à n'importe quel prix écologique. Il faut que les industries trouvent l'intérêt d'investir dans la production la plus propre et pas la moins chère.

Une première conférence a eu lieu à Monaco en mars 2015, réunissant de nombreux acteurs de la filière du plastique d'une dizaine de pays méditerranéens. Après les constats, notamment toutes les données recueillies par Tara Méditerranée, nous avons réfléchis ensemble aux freins et aux solutions pour agir contre cette pollution. L'Assemblée nationale a voté en 2014 l'interdiction des sacs plastique à usage unique à partir de 2016, ce qui est une bonne décision.

Grâce à la fondation Veolia, nous avons pu acquérir les meilleurs instruments, qui ont permis de rassembler des bases de données incomparables. La Fondation est partenaire à 100% de ces aventures exceptionnelles."

* Crédit photo: N.Sardet-TaraExpeditions
 


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