Bruno David est, depuis deux ans, le président du jury du Prix du Livre Environnement de la fondation Veolia. Naturaliste spécialisé en paléontologie, en sciences de l’évolution et de la biodiversité et ancien Président du Muséum national d’Histoire naturelle, il nous donne sa vision de la façon dont les livres, il y a 20 ans comme aujourd’hui, racontent l’écologie.

Avez-vous observé au cours de ces 20 dernières années, une évolution dans la façon dont les auteurs racontent l’écologie ?
Bruno David : Il se publie de nombreux livres sur l’environnement, sur le climat et la biodiversité, beaucoup plus qu’il y a 20 ans. Avant les livres sur l’écologie, si je laisse de côté les guides naturalistes qui ont toujours existé, avaient une forme plus austère. Les récits et formats me semblent plus variés qu’autrefois : on trouve des livres scientifiques, philosophiques des essais liant société et environnement y compris dans des formats de type bande dessinée.
Les livres pour les enfants sont souvent très créatifs en termes de format et contiennent de belles illustrations. Ils ne se contentent plus de parler des classiques lions, tigres, loups, ours ou oiseaux traditionnels. Ils racontent des histoires intéressantes sur les petits animaux par exemple : les araignées, les blattes, les coléoptères ou encore les perce-oreilles ! C’est un progrès : on ose des livres sur des sujets qui n’auraient pas été traités avant.
Les auteurs s’attachent aussi je trouve à “accrocher” les lecteurs avec des anecdotes, à rendre la lecture plaisante. La concurrence des écrans a certainement encouragé cette évolution vers une plus grande facilité de lecture mais aussi vers une plus grande créativité des auteurs et éditeurs quant au format des récits et du livre en tant qu’objet.
Le livre peut-il contribuer à changer le monde ou du moins notre regard sur le monde ?
BD : Si seulement le livre pouvait changer le monde ! Certains livres ont en effet changé le monde il y a bien longtemps, mais les livres sur l’environnement, je ne suis pas certain qu’ils changent le monde ! Les livres sur l’histoire naturelle à la fin du 18e siècle et au 19e siècle ont eu des impacts considérables. L’origine des espèces de Charles Darwin a changé le monde. Quand Buffon écrit son encyclopédie L’histoire naturelle, générale et particulière, cela a changé le regard de la population qui savait lire. Il n’y a pratiquement plus de livres qui ont un impact aussi important. On était aussi dans un autre rapport au temps, on prenait le temps de lire un livre.
A notre époque, un livre comme Le Monde sans fin de Jean-Marc Jancovici sur l’énergie, qui a eu un grand succès, peut contribuer à faire évoluer les consciences de façon massive. Le rôle du livre pour moi est d’arriver à fabriquer de l’émotion car elle nous permet de mieux comprendre un message, de mieux le retenir. Chez l’enfant, le livre pour moi sert à stimuler sa curiosité, en espérant qu’il la garde le plus longtemps possible. Chez l’adulte, il sert soit à stimuler de nouveau sa curiosité et à susciter une émotion qui va l’amener réfléchir… en espérant qu’une fois le livre terminé, cette réflexion se prolonge !
En tant que président du jury du Prix du Livre Environnement, je suis plutôt orienté vers des livres grand public car pour moi, l’idée n’est pas d’intéresser aux livres sur l’écologie des personnes déjà très savantes ou de mettre en avant des sujets de niche qui s’apparentent parfois à des thèses universitaires. Un bon livre pour moi, c’est un livre qui ne demande pas un effort considérable à la lecture, qui n’est pas truffé de références. C’est un livre qui amène à la curiosité, ouvre la réflexion, un livre qui nous ouvre les yeux sur le monde qui nous entoure et tente de répondre à la question : “Que sommes-nous sur cette planète ?”
Le Prix du Livre Environnement a à cœur de refléter la diversité de formats et de récits en sélectionnant autant des livres érudits que des livres accessibles au grand public, scientifiquement fondés, mais qui réussissent à capter des lecteurs sans qu’ils aient besoin d’être savants dans un domaine pour prendre du plaisir à les lire.

Quel est le livre sur l’écologie qui vous a le plus plu ?
BD : Récemment, un livre qui m’a plu, c’est celui de Bill François, Les génies des mers, qui contient de nombreuses anecdotes sur les “bestioles” marines. C’est un livre très bien fait que l’on peut lire dans le désordre, qui éveille la curiosité, on apprend beaucoup en le lisant. Un autre livre que j’ai beaucoup aimé : On a mangé la mer, une bande dessinée sérieuse, qui fait partie des nommés de l’édition 2025 du Prix du Livre Environnement, et raconte ce que l’humain est en train de faire aux ressources marines. Et La domestication à l'œil nu, de Jean-Denis Vigne, paru aux éditions du CNRS.



Je pense aussi à quatre livres piliers sur des sujets touchant à la vie sur Terre : Printemps silencieux est l’un des livres fondateurs sur la disparition des oiseaux, Avant que nature meure de Jean Dorst ou Effondrement de Jared Diamond, ou les Réflexions sur l’Histoire Naturelle de Stephen Jay Gould, paléontologue à Harvard.
En conclusion,
si j’avais un message à faire passer : mettez des livres, et non des écrans, dans les mains des enfants ! Je l’observe autour de moi : si on leur donne des livres ou qu’on lit des livres avec eux, ils adorent cela. Ils nous demandent de leur lire 10 fois la même histoire. De nombreux livres jeunesse, notamment sur les questions environnementales, sont géniaux tant sur le fond que sur la forme : ils se déplient, coulissent et tournent !